La semaine dernière, je donnais une formation sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises, appliquée au secteur bancaire.
Parler de l’entreprise responsable en évoquant les banques, vous allez me dire, « ce n’est pas très intuitif ». Surtout depuis 2008. C’est un peu comme si on allait faire la promotion des Alcooliques Anonymes dans une distillerie de whisky.
Pourtant, depuis plus d’un an que je dispense cette formation, je suis toujours surpris de la qualité des échanges et de l’ouverture d’esprit de celles et ceux qui viennent se former. C’est un constat que je connaissais bien quand je travaillais dans la banque : c’est bourré de gens biens, sympathiques, travailleurs, soucieux de leur prochain et ouverts d’esprit. Des gens qui pensent, à juste titre d’ailleurs, que la banque peut remplir une mission indispensable à la bonne marche de notre société. Paradoxal, quand on voit l’évolution de la finance dérégulée, avec ses montagnes de liquidité, ses milliards de transactions spéculatives, ses financements des industries polluantes qui exploitent l’homme et la planète (notez d’ailleurs que la banque en question est loin d’être dans le peloton de tête des grands méchants, plutôt dans la moyenne de la profession).
Ce paradoxe, c’est celui de l’individu face à l’organisation. L’organisation nous dépasse, elle nous transcende, pour le meilleur comme pour le pire. Combien de salariés travaillent pour des organisations dont les objectifs, les méthodes et jusqu’à la raison d’être ne concordent pas avec ce qu’ils sont en tant qu’individus ?
Ils n’en ont pas forcément conscience d’ailleurs, sont rassurés par la communication corporate, font un peu le grand écart idéologique pour se sentir bien et, souvent, finissent par déprimer en ayant conscience de cette discordance, de cette dissonance cognitive entre « eux » et « l’organisation ».
On pourra me rétorquer que ce sont la plupart du temps des volontaires qui s’inscrivent à ces formations, que mon prisme est biaisé par mes années passées en costume cravate dans une banque et que je refuse de voir tous ces méchants banquiers qui détruisent la planète pour quelques (milliers de milliards de) dollars.
Certes, ils sont quand même nombreux dans ces organisations, dans ces banques, à se moquer des questions sociales ou environnementales ou, le plus souvent, à leur appliquer leur propre prisme de valeur. Ainsi, le très récurrent « l’emploi prime sur tout » ou, appliqué aux pays émergents, le fameux « le développement d’abord, l’environnement et les droits de l’homme ensuite », qui justifie qu’on détruire les écosystèmes et fasse travailler hommes, femmes et enfants jusqu’à en mourir pour un salaire misérable. Mais la main sur le cœur, sans une once de deuxième degré, en prétendant qu’on pense « avec réalisme » à aider les autres pays, à la différence des bobos qui sont, eux, les vrais égoïstes.
C’est vrai, des banquiers comme ceux-là existent. J’en ai rencontré. Ils se trouvent souvent, hélas, assez haut dans les organigrammes. Mais pour autant, dans le reste de l’organisation, c’est encore et toujours peuplé de gens bien. Des gens qui sont curieux, ouverts, sympathiques, qui aimeraient aider la planète et leur prochain.
La leçon que je tire de tout ça, c’est qu’un des grands périls de notre temps c’est la simplification des modes de pensée. En essentialisant, en réduisant tout à son plus petit dénominateur commun, en utilisant des acronymes, des formules à l’emporte-pièce et des catégories toutes faites, nous nous privons d’une vision du monde plus juste, plus équitable. Notre expérience du monde, nos modèles mentaux, il faut les rendre complexes pour avancer.
Alors bien entendu, penser de manière plus complexe c’est exigeant et cela ne peut s’accomplir en 140 caractères. Mais espérer, sur le long terme, exister en tant que civilisation ou nous épanouir en tant qu’individus est impossible si l’on renonce à voir la complexité autour de nous. Il faut refuser de laisser notre pensée être enfermée dans des catégories générales : « les réfugiés », « les terroristes », « les assistés », « les chômeurs », « les banquiers »… Il y a des individus derrière les catégories, il y a des gens dans les organisations. Essayez d’y penser aujourd’hui. Chaque fois que vous entendez une catégorie, ou que vous allez en utiliser une, essayez de déconstruire l’emporte-pièce et d’y ajouter un peu de nuance.
JUIN
About the Author: